Excellent article :
https://fr.motorsport.com/f1/news/ferra ... o/7420953/
"Étant donné que ses voitures étaient une extension du propre corps de [Enzo] Ferrari, admettre qu'elles étaient mauvaises venait à admettre qu'il était lui-même mauvais. C'était quelque chose qu'il ne pouvait faire. Avec le recul, toutes mes années chez Ferrari ont ressemblé à une danse macabre, menée par toutes les personnes concernées, pour éviter d'être tenu responsable. Les mécaniciens, les ingénieurs et oui, même les pilotes. Personne ne voulait faire son mea culpa."
Les propos de Phil Hill, tirés de Ferrari : The Man, The Machines, écrit par Stan Grayson, pourraient être appliqués pour n'importe quelle période de l'histoire tumultueuse de la Scuderia. Mais peut-être qu'ils illustrent le mieux les trois années fébriles ayant précédé la mort d'Enzo Ferrari, à l'été 1988.
Le Commendatore a passé sa vie à monter ses subordonnés les uns contre les autres mais, au moment où son état de santé s'est détérioré, les manœuvres politiques au sein de son entreprise sont devenues de plus en plus brutales.
Parmi les victimes, on retrouve le respecté Mauro Forghieri, créateur de plus d'une Ferrari victorieuse dans les années 1970 et père de l'emblématique moteur flat-12 ayant propulsé les machines de Maranello lors de cette décennie. Au final, "Furia" est tombé en disgrâce et a été envoyé au département Recherche et développement (ce qui n'était pas une première) peu avant le coup d'envoi de la saison 1985.
Harvey Postlethwaite, recruté par Enzo Ferrari en 1981 pour améliorer ses châssis, a donc assumé toutes les responsabilités techniques, toutefois le regain de forme fut bref. Michele Alboreto a certes poussé Alain Prost dans ses retranchements pour la conquête du titre, mais une fiabilité désastreuse dans le sprint final a permis au "Professeur" d'enfiler sa première couronne.
Ferrari a de nouveau connu l'échec en 1986 à cause de la fiabilité. Les multiples abandons frustrants causés par la casse de composants auxiliaires s'expliquaient très probablement par le côté artisanal de l'équipe italienne. En effet, de nombreuses pièces étaient encore fabriquées à la main, ce qui les rendaient difficilement interchangeables.
Une vérité qui ne pouvait être prononcée au sein de l'usine de Maranello. La politique de terreur menée par Enzo Ferrari a également impacté le travail au département moteur : pour limiter l'augmentation de la puissance des blocs turbocompressés, la taille des réservoirs a fini par être réduite, passant de 220 à 195 litres pendant l'hiver. Mais allez expliquer au Commendatore que ses précieux moteurs devaient désormais être moins puissants…
En règle générale, de nombreux problèmes peuvent être résolus avec des personnes compétentes et un peu d'argent. Ferrari a donc suivi ce schéma en recrutant Jean-Jacques His, issu du programme moteur de Renault, et a fait la cour à John Barnard, l'ingénieur visionnaire de McLaren. Cependant, si John Barnard était en effet en brouille avec Ron Dennis sur des questions de contrôle et d'argent, on ne pouvait le convaincre de quitter l'Angleterre.
Il a donc rejoint Ferrari avec les garanties qu'il pourrait diriger les opérations près de sa maison de Godalming, dans le Surrey, qu'il aurait le contrôle du département moteur, et qu'il n'aurait de compte à rendre qu'à Enzo Ferrari en personne.
Au cours de l'été 1986, alors qu'Enzo Ferrari et ses assistants négociaient encore avec John Barnard, un sacrifice s'imposa pour expier la situation catastrophique sur la piste. Harvey Postlethwaite était certes un ingénieur compétent doublé d'un politicien rusé, mais son nom était gravé sur la monoplace pointée du doigt, ce qui le plaçait automatiquement dans la ligne de mire du Commendatore.
Le Britannique a donc été dûment mis sur la touche, et il a été demandé à l'ingénieur autrichien Gustav Brunner de repartir d'une feuille blanche pour 1987. Et les acteurs du département moteur n'étaient pas en reste puisque, là aussi, les reproches fusaient. Les spécialistes en électronique de Ferrari se sont attirés les foudres du Commendatore, tout comme KKK, le fournisseur de turbos du Cheval cabré.
Une fois installé à Maranello, Jean-Jacques His a amélioré de petites choses telles que le taux de compression du V6, mais le manque de rigidité en torsion – à la fois dans le bloc et dans ses fixations sur le châssis – a nécessité une toute nouvelle approche.
En outre, ce V6 devait se conformer aux dernières mesures de la FIA pour contrôler la puissance des moteurs turbos. Moulé en fer plutôt qu'en aluminium, le nouveau bloc de 1,5 litre reprenait les dimensions d'alésage et de course du précédent moteur à 120 degrés, mais avec un angle de 90 degrés. Des parois minces et une bon design lui avaient permis de ne pas prendre de poids, tandis qu'un nouveau système de gestion améliorait l'efficacité énergétique.
Enzo Ferrari a insisté sur la frugalité du moteur lors de la présentation de la monoplace, baptisée F1-87, car la Scuderia venait de construire son premier moteur de compétition consommant moins de 200 grammes de carburant par cheval-vapeur à l'heure. Sa puissance maximale était de 880 ch, et il a été révélé plus tard que le développement l'avait porté à 960 ch en configuration qualifications.
Alors que l'attention s'était portée sur la répartition du poids afin d'atténuer la nervosité en piste lors des saisons 1985 et 1986, les dernières Ferrari avaient souffert du renforcement de la structure du châssis. L'efficacité aérodynamique était donc l'un des points à améliorer pour 1987, et cela s'est traduit par la mort de la boîte de vitesses transversale.
Une transmission longitudinale permettait en effet d'affiner la taille de la carrosserie à l'arrière et donc de réduire les turbulences. La série des McLaren MP4/2 de John Barnard avait démontré tous les avantages dans ce domaine et, bien que l'ingénieur britannique soit arrivé après la conception de la F1-87, il a contribué au développement dans ce domaine.
De son côté, Gustav Brunner n'a pas ménagé ses efforts sur la F1-87 puisqu'il a rétréci le nez, les rétroviseurs et les entrées d'air tout en supprimant le renflement derrière la tête du pilote. L'Autrichien a également redessiné les pontons et la suspension, revenant à l'arrière aux tirants, qui avaient été abandonnés sur la F1-86.
John Barnard, qui n'aimait pas particulièrement reprendre le travail des autres, ne s'intéressa guère à la F1-87 et, à la place, prépara son travail sur le modèle de 1988. Mais c'était sans compter l'influence de la toute-puissante presse italienne, qui n'avait pas traîné à donner à John Barnard le doux surnom d'Il Mago [le magicien en italien, ndlr]. Les médias s'attendaient à ce que les enchantements soient prononcés immédiatement.
John Barnard a donc été contraint de s'impliquer dans le développement de la F1-87, et la mayonnaise avec Gustav Brunner n'a jamais pris. Ce dernier se tourna vers d'autres d'autres opportunités professionnelles fin 1987.
Pendant ce temps, les relations entre les factions britannique et italienne de l'empire Ferrari continuaient d'être exécrables. À Maranello, le fils d'Enzo, Piero Lardi Ferrari, espérait succéder à son père et considérait l'anglicisation du département technique comme une insulte. À plusieurs reprises, John Barnard a été victime de sabotage : le loyer de son bureau d'études en Angleterre était payé en retard, des colis expédiés en Italie disparaissaient mystérieusement ou étaient endommagés pendant le transport, etc.
Mais revenons-en à la piste. La Ferrari F1-87 était rapide, mais pas aussi rapide que la Williams FW11B ou la Lotus 99T sur un tour, ni aussi rapide que la McLaren MP4/3 en course. Elle avait tendance à sous-virer, ce qui pouvait être résolu par le développement, et avait encore des lacunes avec la fiabilité, ce qui était plus difficile à corriger. Comme toujours chez Ferrari, la responsabilité était imputée au concepteur de la voiture, même si la cause première était un processus de fabrication peu rigoureux.
Gerhard Berger, une autre recrue, s'est classé quatrième de la première manche, au Brésil, tandis que son coéquipier Michele Alboreto a terminé hors des points en raison d'une sortie de piste. Les deux hommes se sont plaints de la tenue de route, alors la suspension, le freinage et l'aérodynamique ont été revus par John Barnard avant le Grand Prix de Saint-Marin, la manche suivante, où Michele Alboreto termina troisième.
À Monaco, l'abandon d'Alain Prost a permis à Michele Alboreto et Gerhard Berger de se classer respectivement troisième et quatrième. Toutefois, la saison du pilote italien prit un tournant pour le pire juste après. Lors des dix courses suivantes, des problèmes de boîte de vitesses et de moteur l'ont poussé à abandonner. Il s'est donc joint la presse nationale pour pointer du doigt la superstar de l'équipe, John Barnard, avec les encouragements de Piero Ferrari.
Finalement, les relations diplomatiques entre Michele Alboreto et John Barnard, tendues dans le meilleur des cas, ont subitement pris fin lorsque le premier a indiqué dans la presse que la distance entre le bureau du designer et l'usine de Maranello avait très peu de sens, comme un chirurgien tentant de pratiquer une opération du cerveau par téléphone... Cette sortie incendiaire a valu à John Barnard d'être traîné dans une conférence de presse improvisée à Hockenheim. Le lendemain, ses deux voitures abandonnèrent.
Après tout ce tumulte et ces abandons en pagaille, et au prix d'un long travail, la F1-87 s'est transformée en gagnante. Pour le premier Grand Prix du Japon à Suzuka, Gerhard Berger a mené du départ à l'arrivée et a amélioré sa performance en clôture de la saison, en Australie, en s'offrant le meilleur tour en course en plus de la pole position et de la victoire.
Ces deux succès consécutifs auraient dû conclure la carrière de la monoplace, mais certaines personnes à Maranello n'avaient pas fini de freiner John Barnard. Alors que le Britannique planchait sur un nouveau modèle à moteur V12, il apprit que tout le temps passé dans la soufflerie avait été alloué, sur ordre de Piero Ferrari, à un projet entièrement différent dirigé par Harvey Postlethwaite.
À la surprise générale, John Barnard est sorti vainqueur de la guerre qui s'est ensuivie et Piero Ferrari a été prié de ne plus s'impliquer dans les affaires de l'équipe F1. Mais le mal était déjà fait, le modèle à moteur atmosphérique devait attendre une année de plus avant de faire ses débuts en Grand Prix. C'est donc une évolution de la F1-87 qui disputa l'intégralité de la saison 1988.
Malheureusement, Enzo Ferrari n'a pas vécu assez longtemps pour voir ses voitures bien-aimées gagner à nouveau. Un superbe hommage a toutefois été rendu au Commendatore trois semaines après sa disparition, au Grand Prix d'Italie. L'abandon d'Ayrton Senna a permis à Gerhard Berger et Michele Alboreto de signer un doublé historique devant les tifosi. Il est clair que ce jour-là, personne chez Ferrari n'a eu à faire de mea culpa…